Un roi sans divertissement (Giono) (05/01/2020)

         par François Mangin-Sintès

 

Les lecteurs habitués à lire de la littérature classique, des romans policiers, pourraient trouver pour certains d'entre-eux, des difficultés de compréhension à la lecture de ce roman. Le jeu de la narration et la confusion entre le Narrateur-Enquêteur et les différents personnages s'y ajoutant, ils pourraient trouver aussi cette lecture difficile. Or, il n'en est rien. Le texte nous invite en toute simplicité à découvrir une série de faits divers survenus dans le passé et qui ont marqué les esprits des générations successives. Ils sont situés dans le cadre du divertissement, un mélange de fantaisie et de drame, d'éléments «bouffes», et de tragique, le tragique de la condition humaine. Prisonniers d'un espace clos, les personnages de ce roman sont confrontés à la pire des malédictions, l'ennui.

Pour Pascal, d'où est inspiré le titre du roman, le divertissement est tout ce qui ne mène pas à Dieu et qu'il faut condamner car c'est un obstacle dressé contre son projet d'apologie de la religion chrétienne. Où doit-on trouver le bonheur: c'est en nous-mêmes, à condition d'adopter la vraie religion, la vraie foi et de prier pour faire diversion à cette agitation métaphysique, laquelle nous ramène immanquablement à notre finitude et à la perspective de notre mort.

Pour Giono, le drame de l'ennui c'est d'avoir perdu le contact avec le monde, la relation vivante avec la nature. Les personnages de ce roman devront user de stratagèmes savants, de tout leurs sens, de leur intelligence pour trouver le divertissement de qualité nécessaire à leur survie: la magnificence de la messe de Noël avec l'or du ciboire et des chasubles, les tenues d'apparat de la chasse au loup, son décor et sa mise en scène spectaculaire à la Cecil B.DeMille, le sang versé d'une oie sur la neige qui s'égoutte. Vivre dans ces conditions extrêmes c'est choisir entre le divertissement et le meurtre qui est aussi un divertissement à défaut du premier. Tel est l'enjeu métaphysique qui se pose à chaque personnage. Nouveau roman, Giono propose un «nouveau genre» et renouvelle les formes romanesques de son temps. Incompris à sa parution en 1946, il faudra attendre une cinquantaine d'années avant qu'il soit sacralisé comme l'un des meilleurs romans du XXème siècle et sans doute perçu comme un chef-d'œuvre de la littérature.

 

 

 

 

                                               

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