Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Yves GERBAL

Pendant trois cycles d'un séminaire de littérature conçu et animé par Yves Gerbal (professeur agrégé de littérature et auteur de plusieurs livres), les étudiant(e)s ont osé se poser sans tabou la question  "Qu'est-ce qu'on garde ?". Ce blog-site est le résultat de ces trois années de propositions, discussions, argumentations, confrontations. Cette belle aventure, culturelle et humaine, méritait de rester "gravée" dans le Net...  Tous les contributeurs qui ont rédigé les  articles ont donc été des participants actifs aux travaux de l'Université du Temps Libre de Marseille. Qu'ils soient ici remerciés pour leur engagement dans cette mission de transmission et pour ce "don" qu'ils font ainsi aux générations à venir. 

Nous vous présentons le projet  CI-DESSOUS et la méthode dans la colonne  CATEGORIES ...

A LIRE ABSOLUMENT ;-) avant de découvrir les oeuvres de la bibliothèque...

***************************************************************

                                                                                                

Qu’est-ce qu’on garde ?

Séminaire UTL

 

Présentation du projet

 

 

                                                                                                                    « L’homme est un être de récit » Pascal Picq

 

 

            Dans l’un des quelques merveilleux poèmes qu’il a écrits, Boris Vian imagine une fin du monde et un dernier homme confronté au choix entre une locomotive et un « zoizillon »… Dilemme terrible. Que garder ? Il tranche tout de même :

 

Tout reprendre à son début
Tous ces lourds secrets perdus
Toute science abattue
Si je laisse la machine
Mais ses plumes sont si fines
Et son coeur battrait si vite
Que je garderais l'oiseau.

 

 

A travers cette fiction poétique, l’auteur de l’inoubliable roman L’écume des jours repose une question fondamentale. Une fois dépassé le stade de la survie, le problème du choix est peut-être celui qui, finalement, préoccupe le plus les humains. Avoir le choix c’est déjà être libre. Mais avoir le choix c’est aussi être responsable, et chacun de ces choix, plus ou moins déterminé ou arbitraire, a des conséquences essentielles sur notre vie, notre relation à autrui, notre éthique. Cette question est au centre de nombreuses questions philosophiques mais c’est la littérature qui nous importe ici.

 

Cette littérature, elle aussi, pose évidemment cette question essentielle. Dilemmes radicaux dans les tragédies grecques ou classiques, hésitations sentimentales dans les romans d’amour ou la poésie, engagements politiques dans les récits militants ou historiques, interrogations morales dans les romans policiers etc… Les exemples sont innombrables. Si nous n’avions pas le choix, y aurait-il d’ailleurs encore de la littérature ?

 

Mais cette littérature nous place elle-même, par la quantité de ses œuvres, devant cette même question : que choisir ? Mise en abyme : que choisir parmi ses œuvres qui nous racontent des histoires de choix ? Certes la bibliothèque infinie imaginée par le génial écrivain argentin Borges n’existe pas, mais nous n’avons pas assez d’une vie pour parcourir toutes les œuvres. Car nous ne sommes pas immortels (et c’est pour cela aussi, peut-être, qu’existent la littérature, et l’art 1) et nous ne lirons, ni ne vivrons, pas tout. Il faut donc choisir, c’est à dire renoncer, et s’élancer…

 

A notre tour, construisons une fiction. Comme le poète, inventons quelques situations, plus ou moins d’urgence, qui nous obligeraient à ne garder dans le champ quasi illimité de la littérature (à la mesure d’une vie humaine) qu’un nombre d’œuvres limité.

 

La fiction la plus fréquemment évoquée est celle de la fameuse « île déserte » où nous n’aurions plus que quelques livres pour nous tenir compagnie. Il est vrai qu’il faudrait alors bien les choisir ! L’hypothèse est évidemment radicale et pose clairement la question du choix. Mais imaginons d’autres exemples.

 

Comme Boris Vian, une fin du monde qui approche, ou une planète devenue invivable, une apocalypse quel qu’en soit le type, et la nécessité de sauver d’un nouveau « Déluge » les œuvres littéraires que l’on juge les plus indispensables à préserver en les emportant dans une « arche » spatiale vers une destination extra-terrienne où pourrait se recomposer une communauté humaine…

 

Ou bien en restant sur notre bonne vieille Terre, un exil, une fuite, un voyage sans retour, quoi que ce soit qui nous oblige à réduire nos bagages et n’emporter que des œuvres dont nous ne voulons pas nous séparer, une sorte de bibliothèque « ultime ».

 

Ou bien encore plus simplement, sans désir de départ, un moment de la vie où se pose plus que jamais la question du choix à travers la question de la qualité. L’âge aidant, peut-être, nous ne voulons conserver que ce que nous jugeons essentiel. Dans tous les domaines. Après une vie de lecture, le besoin de « trier », de faire un bilan, de s’alléger aussi. Et dans le même temps de se constituer ainsi une bibliothèque « idéale » (pour soi, pour tous ?), havre existentiel mais aussi peut-être patrimoine à offrir, héritage à transmettre…

 

Dans tous les cas la question est à la fois très simple et très complexe : qu’est-ce qu’on garde ? C’est cette question qu’Yves Gerbal a posée aux étudiants de l’UTL en littérature. Ensemble ils ont affronté cette difficile problématique du choix qui oblige à déterminer un cadre, élaborer une méthode, chercher des critères, établir des listes, tout cela à partir d’objectifs clairement formulés.

 

*

 

Une des premières difficultés était celle de l’objectivité. Le « jugement » restera toujours en partie marqué par « le goût » de chacun. Il s’agissait néanmoins de prétendre élaborer collectivement une liste que chaque participant puisse revendiquer et cela même s’il n’a pas une connaissance égale de toutes les œuvres choisies et même si ses préférences personnelles peuvent être en partie différentes. Rien n’empêche chacun de se livrer d’ailleurs en toute subjectivité à ce plaisir des listes !

 

En discutant, en « disputant » (au sens rhétorique), en clarifiant, et formulant les raisons de nos choix (et aussi de certains refus) nous pensons avoir produit un document que chacun pourra exploiter dans sa quête d’essentiel sinon comme une vérité absolue (il n’y a pas de « vérité » en littérature) mais au moins comme une base solide, à personnaliser si l’on veut.

 

Nous ne sommes pas les premiers à nous livrer à ce « jeu » et nous avons tenu compte de certaines listes proposées par des manuels, magazines, divers ouvrages anthologiques qui réfléchissent aussi à cette notion capitale de la « valeur » d’une œuvre. Mais nous avons gardé notre entière liberté et avons chaque fois reposé la question-clé sans aucun tabou, sans aucun totem…

 

Mais attention ! Peu de livres ne veut surtout pas dire livre unique ! Nous ne confondons pas notre culte des livres avec les religions du Livre… N’est-il pas plus urgent que jamais de rappeler aussi que la littérature est une des plus nobles expressions de la liberté de l’individu ?

 

Ce travail, nous en sommes conscients, n’a véritablement jamais de fin. Il reste une œuvre toujours inachevée. C’est un projet utopique au sens propre : cette liste ne peut pas vraiment exister. A peine nous la croyons finie que tout de suite elle nous paraît incomplète. Elle est mouvante, elle se transforme, et d’autres œuvres viennent à l’esprit qui contestent sa vérité définitive.

 

C’est vrai : cette entreprise est illusoire. Mais nous revendiquons tout de même cet « inventaire », fruit de nombreuses heures d’échanges, d’un vrai travail collaboratif, de relectures collectives. Et le résultat, s’il n’est donc jamais à proprement parler « final », reste de toute façon un merveilleux éloge de la littérature et de sa capacité à faire sens à travers cette liste d’œuvres essentielles.

 

Oui, faire cette liste était un projet insensé. Mais nous ne savions pas que c’était impossible, alors nous l’avons fait… en cherchant, tels des alchimistes, la quintessence de la littérature.

 

Le groupe séminaire littérature UTL Marseille

2017/2018, 2018/2019, 2019/2020

1.« Ceux qui n’ont pas ou ne voient pas la littérature, je crois qu’il leur manque quelque chose de très grave. Je crois qu’en manquant la littérature ils manquent la contestation de la mort » (Charles Dantzig A propos des chefs-d’œuvre)

 2. « Nous n'avons qu'une ressource avec la mort : faire de l'art avant elle » (René Char)